Les Invisibles
A tentative foray into French-language creative writing. Winner of the 2023 Durham University French Writing Prize. Archived from August 2023
« Ferme ta gueule! Putain des Arabes, vous êtes tous des pestes! » hurle le policier. Tous entendent le bruit dur du brisement des os.
Il fait froid. Vraiment. La particulière sorte de froid qui envahit tout votre corps, sous vos ongles, derrière vos yeux. C’est la sorte de froid qui veut vous détruire. Il y a la puanteur distinctement amère de la pisse, piquant mes narines. Des femmes consolent leurs enfants en pleurs, en cachant leurs propres sanglots douloureux, alors que des hommes marmonnent des jurons, maudissent les policiers, qui regardent, amusés et dégoûtés simultanément. Ils nous regardent comme des animaux, des spécimens d’une dystopie, d’autres. Un agite du jambon devant le nez d’un homme aîné, qui regarde aveuglément devant avec ses yeux jaunes las. Ils battent les barreaux en caquetant, des bêtes, encerclant leurs malheureuses proies.
La cellule est sordide. Environ soixante, voire, septante, des gens misérables, tous bousculés dans une chambre misérable, comme des œufs, oubliés au fond du frigo, laissés pourrir. C’est une boîte, un vaisseau d’angoisse et de douleur, construit en ciment et haine. Les murs sont écorchés, marqués par mes précurseurs, d’autres qui avaient rêvé d’une meilleure vie, d’une vie sans le bruit des coups de feu devant ses maisons chaque soir; Sans le relent aigre omniprésent du sang, qui coule comme la rouille dans les gouttières; Sans l’éternelle menace des soldats, Américains ou Daesh, tous pareil. Ces cicatrices sont des fenêtres qui ne montrent qu’une fraction de la souffrance d’une de ces vies oubliées. Les barreaux sont monolithiques - des gardiens métalliques d’un meilleur monde, délimitant la société du barbarisme.
« Combien de fois dois-je répéter! Enlève l’hijab! Merde, ces gens sont idiots! » Un bâton frappe la chair. Une femme crie.
La télé joue en silence à l’extérieur de la boîte, juste au-delà des barreaux. Un homme masqué est là, une goule déguisée, un djinn. Derrière-il, ses compatriotes, qui agitent leurs armes vieillis- Des outils de douleur, des instruments de mort lui-même. La lumière fluorescente de la télé est aveuglante dans la cellule foncée, presque céleste : notre seule fenêtre sur le monde extérieur. Les hommes proclament leur victoire silencieusement, mais leurs cris muets arabes sont connus par tous : « On a détruit Sykes-Picot! Mort à l’Amérique! Mort à la France! Mort aux cochons libéraux occidentaux! » Tous les prisonniers les regardent, se pressant contre les barreaux. Il est Dajjal : un prophète faux, le porteur de mort. Un camion tourne en rond en arrière-plan, plein de fantômes armés alors que d’autres tirent les coups de feu au ciel. Le titre est fortement imprimé en cramoisi en bas de l’écran :
SYRIE EST TOMBÉ.
Il est simple, concis, franc.
Comment ma vie est-elle devenue cela? Comment ai-je fini par rester assis danse cette cellule, attendant d’être déporté vers les ruines de ma patrie?
Peut-être je serais devenu comme ces hommes-là : un meurtrier sous les traits d’un martyr. Je ne sais pas. Pour être honnête, je ne saurai jamais ce que ma vie serait devenue si j’étais resté en Syrie. Je ne connaîtrai jamais la joie d’ayant ma propre maison, ma propre famille, ma propre vie. Tout ça a déjà été détruit, arraché. Je sors mon chapelet, cassé et déchiré, et commence à pétrir les perles entre mes onglets en pensant de mon père, de mon pays, de ma maison.
Mon père était appelé Mehdi : le Messie. À mon avis, c’est peut-être un peu trop pour mettre sur les épaules d’un jeune garçon, mais quand même, il avait essayé d’être à cette hauteur. En fait, il fut un homme pieux. Je me souviens les trajets ennuyeux hebdomadaires à la mosquée, le son de l’Adhane sur les haut-parleurs cassés, la sensation des tapis poussiéreux sous mes pieds, l’arôme de Moussaka dans la rue. Actuellement, ça me manque. Mais ce qui me manque le plus, c’est sûrement la chaleur. Oui, la chaleur était inéluctable. Partout, il faisait chaud, trop chaud, comme le feu de l’enfer- sous vos pieds, dans l’air, sous ta peau. Dedans ou dehors, ça n'a fait aucune différence- la chaleur a envahi. Lors, je l’ai détesté. J’avais envie du froid des pays Européens, de neige, comme dans les films. Je voulais vivre un noël blanc, même si on est musulmans. Je voulais désespérément sentir ces cristaux de glace sur ma peau, de respirer l’air frais d’hiver. Mais maintenant, je ne veux rien de plus que cette chaleur diabolique.
On était des bedouins. Je me souviens le sentiment de la brise chaude dans le désert, ces soirées dorées, quand nous nous sommes blottis autour du feu, en racontant des légendes des héros d’un passé disparu.
Et puis, tout s’est effondré.
Je me souviens quand mon père nous a dit « On doit partir, mais je promets, on va retourner, » et il a tendu la main à moi, qui j’ai serré. C’était le seul mensonge qu’il nous ait jamais dit. Je me souviens quand je suis monté dans la caisse du camion, à côté de mon frère cadet et mon sœur grande, et il est resté à la maison, car il voulait aider notre voisin et sa grand-mère à s’échapper en premier. Je me souviens l’avoir vu devenir de plus en plus petit à l’horizon, alors que nous étions éloignés de la ville dans la Toyota ancienne.
Je suis sorti de ma rêverie par le son strident des cris. Le policier est venu dans la cellule, en battant une femme, voire, une fille. « Fais taire le bébé! Putain, es-tu retardée? T’comprends? » Évidemment, elle ne comprend pas. La plupart de ces gens ne peuvent pas lire l’Arabe, encore moins comprendre le Français. Le bâton la frappe, encore et encore. Nous autres restons muets. On ne veut pas attirer la fureur bestiale de nos ravisseurs. Donc, on tout reste regardant le plancher, en essayant d’ignorer l’horreur qui se déroule mais à trois mètres à gauche.
J’essaye de dormir, de m’enfuir dans le vide. Mais c’est un sommeil sans rêves.